Le mensonge du maoïsme

Le mensonge du maoïsme

 

(PAR LE CAMARADE WH )

 

Introduction

a- Contexte historique

b- La dégénerescence du parti communiste chinois

b (suite) – Marx et Lénine auraient-ils été maoïstes ?

c- La nature de classe de la révolution chinoise

d- La lutte entre Staline et Mao

e- La « socialisme » chinois

f- La base de l’opposition à Khrouchtchev

g- La soumission de la Chine à l’impérialisme américain

h- La lutte contre le prétendu « hoxhaïsme » masque une véritable lutte contre le marxisme

i- Autres textes

 

 

Introduction

Le maoïsme désigne les courants de pensée se réclamant du communisme et de la Chine de Mao ainsi que de son idéologie. Il existe diverses variantes de maoïsme. Nous n’entrerons pas ici en détails sur ce qui différencie chacune de ces variantes. Malgré toutes leurs différences, ces différentes variantes de maoïsme prétendent toutes se placer dans la continuité du marxisme-léninisme, l’idéologie officielle de l’URSS de Staline. D’autre part, le maoïsme assume un certain nombre de ruptures avec le marxisme-léninisme. J’entends ici démontrer que le maoïsme n’a aucune continuité avec le marxisme-léninisme et est de bout en bout une rupture avec ce dernier. Nous démontrerons que, loin d’être le successeur de Marx et Lénine, Mao est le successeur des innombrables révolutionnaires bourgeois et petits-bourgeois auxquels se sont confrontés Marx et Lénine de leur vivant. Enfin, nous démontrerons que ni la Chine de Mao, ni l’idéologie de Mao ne peuvent être considérés comme communistes.

 

a- Contexte historique

Il faut d’abord poser le contexte, comprendre l’histoire de la Chine. Je vais donc faire un rapide résumé, qui ira juqsu’à la fondation du parti communiste chinois.

Au cours du 19ème siècle, la Chine est entrée dans le giron des puissances coloniales européennes (la France et l’Angleterre). Le pays était alors au stade féodal, et les seigneurs féodaux chinois obéissaient aux puissances coloniales. Le principal intérêt pour la France et l’Angleterre était le commerce, notamment de l’opium. Une série de révoltes anti-féodales (révolte des Taipings) peu connues en occident ont traversé toute la Chine, mettant en difficulté la dynastie Qing.

Au début du 20ème siècle, le capitalisme en Europe a atteint le stade impérialiste. Le partage du globe n’avait plus pour but d’exporter des marchandises produites en Europe mais le partage de zones d’influence où exporter les capitaux. L’Angleterre, le Japon puis les Etats-Unis se sont contestés le contrôle de la Chine.

En même temps que les investissements arrivaient en Chine, une bourgeoisie et un prolétariat apparaissaient, le développement de l’industrie allait de pair avec l’émergence d’intellectuels qui s’inspiraient des idées occidentales. Des idées nationalistes, marxistes et anarchistes sont apparues en Chine et en 1911, une révolution a fait de la Chine une république. Quelques années plus tard fut créé le Kuomintang, dirigé par Sun-Yat-Set, menant la révolution bourgoise et soutenu alors à la fois par le prolétariat et la paysannerie.

Dans les années 1920, le régime nationaliste de Sun-Yat-Set recevait le soutient de l’URSS, qui voyait dans cette république nouvellement créée un allié contre les puissances impérialistes et une première étape vers la révolution prolétarienne en Chine.

 

b- La dégénérescence du parti communiste chinois

Le parti communiste chinois a été fondé en 1921 sur le modèle du parti bolchevique et a développé des syndicats ouvriers ainsi que des associations paysannes.

Il n’est pas nécessaire d’entrer en détail sur la politique léniniste vis à vis des pays semi-coloniaux, mais Staline résumait ainsi le contenu de la politique de la IIIème internationale.

« Dans les pays comme l’Egypte ou la Chine, où la bourgeoisie nationale s’est déjà scindée en partis révolutionnaire et conciliateur, mais où la fraction conciliatrice de la bourgeoisie ne peut encore se souder à l’impérialisme, les communistes ne peuvent déjà plus se donner pour but la constitution d’un front national unique contre l’impérialisme. De la politique du front national unique, ils doivent passer à la politique du bloc révolutionnaire des ouvriers et de la petite bourgeoisie. Ce bloc peut revêtir la forme d’un parti unique, d’un parti ouvrier – paysan, comme le Kuomintang, à condition toutefois que ce parti soit réellement le bloc de deux forces: le parti communiste et le parti de la petite bourgeoisie révolutionnaire. Dévoiler la duplicité et l’irrésolution de la bourgeoisie nationale et mener une lutte décisive contre l’impérialisme, telles sont les tâches de ce bloc. Un tel parti, dualiste par sa composition, est nécessaire et rationnel s’il ne lie pas les mains au parti communiste, s’il ne gêne pas sa liberté d’agitation et de propagande, s’il n’empêche pas le ralliement des prolétaires autour du P. C, s’il facilite la direction effective du mouvement révolutionnaire par le P. C. Un tel parti n’est ni nécessaire ni rationnel s’il ne répond pas à toutes ces conditions, car il ne pourrait qu’amener la dilution des éléments communistes parmi les éléments bourgeois et enlever au P. C. la direction de l’armée prolétarienne. »

Staline, Les taches politiques de l’université des peuples d’Orient (Discours à l’U. C. T. O. le 18 mai 1925)

 

« Quelles sont les étapes de la révolution chinoise ? A mon avis, elles doivent être au nombre de trois : première étape, la révolution du front national général unifié, la période de Canton, lorsque la révolution dirigeait ses coups principalement contre l’impérialisme étranger, et que la bourgeoisie nationale soutenait le mouvement révolutionnaire; deuxième étape, la révolution démocratique bourgeoise, après l’apparition des armées nationales sur le fleuve Yang – Tsé, alors que la bourgeoisie nationale s’est retirée de la révolution et que le mouvement agraire s’est développé en une puissante révolution de dizaines de millions de paysans (actuellement la révolution chinoise en est à la deuxième étape de son développement) ; troisième étape, la révolution soviétique, qui n’a pas encore eu lieu, mais qui viendra. »

Staline, A PROPOS DE LA CHINE, Extrait du discours prononcé à l’assemblée plénière commune du Comité central et de la Commission centrale de contrôle, à la séance du 1er août 1927 : « La situation internationale et la défense de l’U.R.S.S. »

Le problème est survenu quand à la mort de Sun-Yat-Set, Tchang-Kai-Chek (c’est à dire l’aile droite du Kuomintang) a pris le contrôle et a mené une offensive contre le parti communiste, éliminant un certain nombre d’entre eux, en particulier dans les villes. La répression a commencé à Shangaï en 1927 puis s’est poursuivie aussi bien dans les villes que dans les campagnes contrôlées par le Kuomintang. Le parti s’est débarassé de son aile gauche, qui comprenait essentiellement des membres du parti communiste.

La partie paysanne du parti communiste chinois s’est retrouvée alors plus importante relativement, et dans les années qui ont suivi, c’est en fin de compte cette aile rurale qui a pris l’ascendant au sein du PCC, permettant à un de ses représentants, Mao Zedong, d’en prendre le contrôle.

La dégénersence du PCC en parti de la paysannerie et de la bourgeoisie rurale était facilitée par le fait que la formation idéologique était encore faible au sein du parti. Dans les années 1930, Mao abandonnait ouvertement la lutte urbaine ouvrière pour se consacrer à « l’encerclement des villes par les campagnes ».

Ce tournant de la politique du PCC et de sa base sociale permet déjà de caractériser Mao comme un révolutionnaire paysan et non comme un marxiste, comme le confirma le grand diplomate soviétique Viatcheslav Molotov.

« C’est un homme intelligent, un leader paysan, une sorte de Pougatchev chinois. Bien sûr, il était loin d’être marxiste. Il est venu pour le soixante-dixième anniversaire de Staline, en 1949. Il est resté quelque chose comme six semaines à la datcha de Staline. Il a été un peu souffrant. Nous sommes allés lui rendre visite Mikoyan et moi. Nous avons eu un entretien. Il nous a fait goûter du thé vert chinois. Je me souviens qu’il a dit notamment : « Je n’ai jamais lu Le Capital de Marx. » Pourquoi a-t-il dit ça ? Pour montrer qu’il n’avait rien d’un doctrinaire ? »

V. Molotov, cité dans Conversations avec Molotov — 140 entretiens avec le bras droit de Staline, Félix Tchouev

Emelian Pougatchev avait mené entre 1774 et 1775 une révolte paysane sous le règne de Catherine II. On peut sans aucun doute dire que Molotov et les soviétiques en général ne se trompaient pas sur le cas de Mao, voyant en lui et dans sa ligne politique non pas un marxiste, mais l’équivalent de qui en Russie avant la révolution, s’appelait le parti socialiste-révolutionnaire (parti de la paysannerie et de la bourgeoisie rurale, adversaire des bolcheviques).

Mao (tout comme les maoïstes actuels) présentent leur théorie sur la guerre populaire comme un nouveau type de stratégie révolutionnaire. Pourquoi ? Pour voiler le fait qu’ils ne considèrent plus le prolétariat urbain comme la force principale de la révolution mais la paysannerie et la petite bourgeoisie rurale.

L’internationale communiste tenta de reprendre le contrôle en envoyant un groupe de 28 bolcheviques chinois formés en URSS, de nouveaux cadres formés pour refaire du PCC un parti bolchevique.

Mais ils ne réussirent pas à imposer la ligne juste au PCC, qui qualifièrent leur position de gauchiste. Parmi ces 28 bolcheviques, Wang Ming a tout de même pu occuper des postes importants à l’intérieur du PCC mais sans en faire changer la ligne idéologique. Dès les années 1930, le PCC s’opposait à la politique de Staline et du Comintern.

« Puis vint la troisième période, la période de la guerre de résistance contre le Japon. Lorsque les impérialistes japonais ont envahi la Chine, nous avons cessé de combattre le Kuomintang et combattu l’impérialisme japonais à la place. À ce moment-là, nos camarades [le groupe des 28] pouvaient aller ouvertement aux villes des régions du Kuomintang. Wang Ming, qui avait précédemment fait l’erreur de pousser une ligne opportuniste «de gauche», a maintenant fait l’erreur de pousser une ligne droite opportuniste. Il avait d’abord mené la politique d’ultra-gauche de l’Internationale communiste, et cette fois il a mené une politique d’extrême droite. Lui aussi a été un de nos bons enseignants par exemple négatif et il a éduqué notre Parti. Nous avons eu un autre bon enseignant par exemple négatif à Li Li-san. Leur principale erreur à l’époque était le dogmatisme, transplant mécaniquement l’expérience étrangère. Notre parti a liquidé leurs lignes erronées et a vraiment trouvé le moyen d’intégrer la vérité universelle du marxisme-léninisme aux conditions concrètes de la Chine. En conséquence, dans la quatrième période où Tchang Kaï-chek a lancé une offensive contre nous, il nous a été possible de le renverser et de fonder la République populaire de Chine.

L’expérience de la révolution chinoise, c’est-à-dire la construction de zones de base rurales, encerclant les villes à partir de la campagne et finalement s’emparant des villes, peut ne pas s’appliquer à beaucoup de vos pays, bien qu’elle puisse servir de référence. Je vous supplie de ne pas transplanter mécaniquement l’expérience chinoise. L’expérience de tout pays étranger ne peut servir qu’à titre de référence et ne doit pas être considérée comme un dogme. La vérité universelle du marxisme-léninisme et les conditions concrètes de vos propres pays – les deux doivent être intégrés. »

Mao Zedong, Quelques expériences dans l’histoire de notre parti, 25 Septembre 1956

D’après Mao, le Comintern ne comprenait pas le cas spécifique de la Chine. Mais il ne s’appuie nulle part sur les textes du Comintern ou de Staline pour en faire une critique. Les textes de Staline montrent au contraire que le Comintern considérait qu’il y avait une bien distinction entre la révolution dans les pays impérialistes comme la Russie et la révolution dans les semi-colonies comme la Chine.

« Lénine disait que les Chinois allaient bientôt avoir leur 1905. Certains camarades comprirent que cela signifiait qu’il devait y avoir une répétition parmi les Chinois de la même chose qui eut lieu ici en Russie en 1905. Ce n’est pas vrai, camarades. Lénine n’a nullement dit que la révolution chinoise serait une réplique de la révolution de 1905 en Russie. Tout ce qu’il disait, c’était que les Chinois auraient leur 1905. Cela veut dire que, outre les traits généraux de la Révolution de 1905, la révolution chinoise aurait ses particularités propres, qui ne manqueraient pas d’imprimer son empreinte à la révolution chinoise. »

Staline, Les perspectives de la révolution en Chine, Discours prononcé à la Commission chinoise de l’ECCI, 30 novembre 1926

« Quel est le point de départ que prennent l’Internationale communiste et les Partis communistes en général, lorsqu’ils abordent les problèmes du mouvement révolutionnaire dans les pays coloniaux et dépendants ?

C’est la distinction stricte entre la révolution dans les pays impérialistes, dans les pays opprimant les autres peuples, et la révolution dans les pays coloniaux et dépendants, dans les pays subissant le joug impérialiste des autres Etats. La révolution dans les pays impérialistes, c’est une chose : là, la bourgeoisie opprime les autres peuples ; là, elle est contre-révolutionnaire à tous les stades de la révolution ; là, l’élément national, comme élément de lutte libératrice fait défaut. La révolution dans les pays coloniaux et dépendants, c’est différent : là, le joug de l’impérialisme des autres Etats est un des facteurs de la révolution ; là, ce joug ne peut manquer d’atteindre aussi la bourgeoisie nationale ; là, la bourgeoisie nationale, à un certain stade et pour un certain laps de temps, peut soutenir le mouvement révolutionnaire de son pays contre l’impérialisme; là, l’élément national comme élément de lutte pour la libération, est un facteur de la révolution. Ne pas faire cette distinction, ne pas comprendre cette différence, identifier la révolution dans les pays impérialistes avec la révolution dans les pays coloniaux, c’est sortir de la voie du marxisme, de la voie du léninisme ; c’est s’engager dans la voie des partisans de la IIe Internationale. »

Staline, A PROPOS DE LA CHINE, Extrait du discours prononcé à l’assemblée plénière commune du Comité central et de la Commission centrale de contrôle, à la séance du 1er août 1927 : « La situation internationale et la défense de l’U.R.S.S. »

Staline et le Comintern reconnaissaient donc bien une différence entre la révolution bolchevique et la révolution chinoise. Simplement c’est sur la nature de cette différence que Mao n’était pas d’accord.

Cette différence, là voici. Tandis que pour Staline, la bourgeoisie nationale en Chine ne pouvait être un allié qu’à certains stades de la révolution, et qu’elle devrait finir par être considérée comme un adversaire, Mao considérait que la révolution ne devrait pas aller jusqu’à l’étape de la révolution socialiste, c’est à dire que l’alliance avec la bourgeoisie nationale devrait être préservée et le pays se développer sur cette base.

« Il y avait l’oppression par la bourgeoisie étrangère en Chine, donc la bourgeoisie nationale de Chine est partiellement révolutionnaire; en vue de cela la coalition avec la bourgeoisie nationale est permise, en Chine les communistes et la bourgeoisie forment un bloc.

Ce n’est pas artificiel. Marx en 1848 aussi avait une coalition avec la bourgeoisie, quand il éditait le Neue Rheinische Zeitung, mais ce ne fut pas pendant longtemps. »

Staline, Cinq conversations avec les économistes soviétiques, 1950

A l’inverse, Mao envisageait la construction du « socialisme » avec la bourgeoisie nationale pendant « un certain temps ».

« Tout au long de la période historique de la lutte contre l’impérialisme et la féodalité, nous devons gagner et nous unir à la bourgeoisie nationale pour qu’elle se range du côté du peuple contre l’impérialisme. Même après que la tâche d’opposition à l’impérialisme et à la féodalité ait été accomplie, nous devons maintenir notre alliance avec la bourgeoisie nationale pendant un certain temps. Cela sera avantageux dans le traitement de l’agression impérialiste, dans l’expansion de la production et la stabilisation du marché et aussi dans la conquête et le remodelage des intellectuels bourgeois. »

Mao Zedong, Quelques expériences dans l’histoire de notre parti, 25 Septembre 1956

Nous voyons donc que Mao divergeait des positions de Staline et du Comintern. Il menait une lutte s’appuyant non pas sur le prolétariat urbain mais sur la paysannerie et la bourgeoisie des campagnes. Sa politique visait non pas à s’allier temporairement avec la bourgeoisie nationale comme étape de la révolution mais à fonder un système intégrant à la fois la classe ouvrière, la paysannerie, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale, ce qu’il appellera la « démocratie nouvelle ». Cela questionne donc la nature même de la révolution chinoise et de la république née en 1949.

 


b (suite) – Marx et Lénine auraient-ils été maoïstes ?

Après sa fondation en 1921, le parti communiste chinois s’est construit sur les bases du marxisme-léninisme. Mais dès la fin des années 1920, et en particulier avec la victoire de la ligne de Mao, le PCC est devenu le parti de la paysannerie et de la bourgeoisie rurale.

Achevant sa transformation en parti de type populiste, il a cessé de voir le prolétariat urbain comme la force principale de la révolution, se concentrant sur la paysannerie.

Cette nouvelle plateforme idéologique, ainsi que cette nouvelle base sociale faisait du parti « communiste » chinois l’équivalent russe du parti socialiste-révolutionnaire au début du 20ème siècle. Le maoïsme se rattache aussi de fait à toute l’histoire du populisme européen. Nous commencerons donc par celui-ci.

Lénine raconte ainsi comment le marxisme est né en opposition au populisme.

« Au début de la première période, la doctrine de Marx est loin d’être dominante. Elle n’est que l’une des très nombreuses fractions ou courants du socialisme. Les formes dominant dans le socialisme sont celles qui au fond s’apparentent au populisme de chez nous : incompréhension de la base matérialiste du mouvement historique, incapacité de discerner le rôle et l’importance de chacune des classes de la société capitaliste, camouflage de la nature bourgeoise des réformes démocratiques à l’aide de différentes phrases pseudo-socialistes sur le « peuple », la « justice », le « droit » etc. »

Lénine, Les destinées historiques de la doctrine de Karl Marx, 1er mars 1913

Karl Heinzen était l’un de ces socialistes petits bourgeois qui prêchait la soumission du mouvement communiste naissant à la bourgeoisie progressiste républicaine. Vers 1847-1848 en Allemagne, démocrates bourgeois et communistes étaient alors unis brièvement et par tactique contre l’ancien régime. Les communistes affirmaient en même temps leur propre doctrine indépendante.

« parce que l’Allemagne se trouve à la veille d’une révolution bourgeoise, parce qu’elle accomplira cette révolution dans des conditions plus avancées de la civilisation européenne et avec un prolétariat infiniment plus développé que l’Angleterre et la France au XVII° et au XVIII° siècle, et que par conséquent, la révolution bourgeoise allemande ne saurait être que le prélude immédiat d’une révolution prolétarienne. »

Karl Marx, Le manifeste du parti communiste, 1847

Engels réfuta les thèses de Heinzen, et du même coup, le point central de ce qui sera plus tard la théorie maoïste.

« A qui M. Heinzen adresse-t-il ses prêches révolutionnaires ? Avant tout aux petits paysans, à cette classe qui est, à notre époque, la moins apte de toutes à prendre une initiative révolutionnaire. Depuis 600 ans, tout mouvement progressif provient des villes, et cela est tellement vrai que les mouvements démocratiques indépendants [provenant] des ruraux (Wat Tyler, Jack Cade, la Jacquerie, la guerre, des paysans), premièrement prirent toujours une tournure réactionnaire, et, deuxièmement, furent toujours battus. Le prolétariat industriel des villes est devenu le fer de lance de toute la démocratie moderne ; les petits bourgeois, et plus encore les paysans, dépendent complètement de son initiative. La Révolution française de 1789 et l’histoire récente de l’Angleterre, de la France et des Etats de l’est de l’Amérique, le prouvent. Or, M. Heinzen place son espoir aujourd’hui, en plein dix-neuvième siècle, dans l’assaut des paysans ! »

Friedrich Engels, Les communistes et Karl Heinzen, Octobre 1847


Marx également, ne donnait pas à la paysannerie et à la petite bourgeoisie le rôle principal dans la révolution. Cela semble évident à quiconque connaît un peu le marxisme, mais il vaut mieux parfois répéter les évidences.

« Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat; d’une part, parce que leurs faibles capitaux ne leur permettant pas d’employer les procédés de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes; d’autre part, parce que leur habileté technique est dépréciée par les méthodes nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population.

(…)

De toutes les classes qui, à l’heure présente, s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique.

Les classes moyennes, petits fabricants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. »

Karl Marx, Le manifeste du parti communiste, 1847

Les « socialistes » dans le genre Heinzen furent battus par le marxisme mais se déguisèrent alors en marxistes pour mieux le combattre de l’intérieur.

Cela veut-il dire que la paysannerie n’a aucun rôle à jouer dans la révolution ? Dans les pays retardataires comme la Russie ou la Chine du 20ème siècle, la paysannerie constituait l’écrasante majorité de la population. Il était donc impossible d’envisager une révolution sans la participation active de la paysannerie (ou du moins, des paysans pauvres), comme soutien au prolétariat.

L’ »erreur » des maoïstes est qu’ils attribuent à la paysannerie et à la « périphérie » en général ce rôle principal qui ne peut être que celui du prolétariat urbain pour un marxiste.

Le plus grand mensonge du maoïsme est de se présenter comme une nouveauté alors qu’il ne s’agit que d’une nouvelle variante des théories populistes combattues par Marx et Lénine de leur vivant. Simplement, ces nouvelles variantes ont fini par se dire « marxistes » puis « marxistes-léninistes » lorsqu’elles furent battues et qu’il fallait profiter du prestige de cette idéologie pour duper leurs sympathisants.

« La Révolution de 1848 porte un coup mortel à toutes ces formes bruyantes, bigarrées, tapageuses du socialisme d’avant Marx. Dans tous les pays, la révolution montre à l’œuvre les différentes classes de la société. Le massacre des ouvriers par la bourgeoisie républicaine, dans les journées de juin 1848, à Paris, achève de fixer la nature socialiste du prolétariat, du prolétariat seul. La bourgeoisie libérale redoute l’indépendance de cette classe, cent fois plus que la pire réaction. Le libéralisme peureux rampe devant cette dernière. La paysannerie se contente de l’abolition des vestiges du féodalisme et se range du côté de l’ordre ; elle ne balance que rarement entre la démocratie ouvrière et le libéralisme bourgeois. Toutes les doctrines sur le socialisme hors-classes et la politique hors-classes se révèlent un vain bavardage.

La doctrine de Marx remporte une victoire complète et s’étend en largeur. Lentement mais sûrement, se poursuivent la sélection et le rassemblement des forces du prolétariat, sa préparation aux batailles futures.

La dialectique de l’histoire est telle que la victoire du marxisme en matière de théorie oblige ses ennemis à se déguiser en marxistes. Le libéralisme, pourri à l’intérieur, tente de reprendre vie sous la forme de l’opportunisme socialiste. »

Lénine, Les destinées historiques de la doctrine de Karl Marx, 1er mars 1913

Concernant le parti socialiste-révolutionnaire, on sait qu’en Russie, avant la révolution de 1917, il existait principalement quatre courants se réclamant du socialisme :

La tendance économiste du parti social-démocrate, qui furent connus ensuite sous le nom de mencheviks. Ils s’inspiraient du réformisme européen et refusaient toute lutte politique indépendante du prolétariat,

La tendance politique du parti-social-démocrate, qui furent connus ensuite sous le nom de bolcheviques. Ils s’appuyaient sur le marxisme et défendaient une révolution sociale dirigée par le prolétariat,

Les anarchistes, qui s’appuyaient sur la petite bourgeoisie et utilisaient les méthode de terrorisme,

Enfin le parti socialiste-révolutionnaire, parti de la paysannerie et de la petite bourgeoisie, qui était lui-même divisé en plusieurs tendances. Il utilisait également les méthodes de terrorisme.

Le combat de Lénine contre les mencheviks est bien connu. Sa dénonciation des anarchistes l’est aussi. Mais on connaît moins son attitude vis à vis du parti socialiste-révolutionnaire. Pourquoi ? Parce qu’en occident, la paysannerie ne représentait et ne représente plus qu’une minorité de la population. Donc il n’existe aucun équivalent de ce parti.

Cependant la critique que Lénine en a fait est très utile pour confondre le maoïsme et identifier sa véritable nature de classe.

Les mencheviks, les anarchistes et les socialistes-révolutionnaires avaient de nombreuses nuances, mais ils avaient un point commun. Ils représentaient tous au fond l’intérêt de la petite bourgeoisie, n’étaient pas des révolutionnaires conséquents, et devaient par conséquent finir par passer à la bourgeoisie à un moment donné.

La critique des socialistes-révolutionnaires faite par Lénine a d’abord consisté à positionner les SR par rapport aux autres courants socialistes en Russie.

« ils se sont assis entre deux tabourets, entre le marxisme russe (dont ils n’ont emprunté que quelques maigres lambeaux) et le narodisme libéral quasi-socialiste. »

Lénine, Les thèses de base contre les socialistes-révolutionnaires, Novembre-Décembre 1902

D’après Lénine, les SR n’avaient aucune base sociale précise mais donnaient le rôle principal à la paysannerie au détriment du mouvement ouvrier.

« Une attitude peu enthousiaste envers le mouvement ouvrier conduit inévitablement à l’éloignement, et par suite de cette distance, le parti socialiste-révolutionnaire n’a aucune base sociale. Il ne s’appuie sur aucune classe sociale, car le terme de classe ne peut s’appliquer à un groupe d’intellectuels instables qui qualifient leur imprécision et leur manque de principe d ‘«ampleur».

Lénine, Les thèses de base contre les socialistes-révolutionnaires, Novembre-Décembre 1902

« en adoptant une attitude dédaigneuse à l’égard de l’idéologie socialiste et en cherchant à compter simultanément et dans une égale mesure sur l’intelligentsia, le prolétariat et la paysannerie, le Parti socialiste-révolutionnaire y mène inévitablement (qu’il le veuille ou non) et l’asservissement idéologique du prolétariat russe par la démocratie bourgeoise russe. Une attitude dédaigneuse à l’égard de la théorie, de l’évasion et de la tergiversation à l’égard de l’idéologie socialiste joue inévitablement un rôle les mains de l’idéologie bourgeoise. En tant que strates sociales comparables au prolétariat, l’intelligentsia russe et la paysannerie russe ne peuvent servir de pilier qu’à un mouvement démocratique bourgeois. Ce n’est pas seulement une considération qui découle nécessairement de nos enseignements dans leur ensemble (qui considèrent le petit producteur, par exemple, comme révolutionnaire seulement dans la mesure où il fait une rupture nette avec la société de l’économie marchande et du capitalisme et se place au point de vue du prolétariat) – non, c’est aussi un fait absolu qui commence déjà à se faire sentir. Au moment de la révolution politique et au lendemain de cette révolution, ce fait se fera inévitablement sentir avec encore plus de force. Le socialisme-révolutionnarisme est l’une des manifestations de l’instabilité idéologique petite-bourgeoise et de la vulgarisation petite-bourgeoise du socialisme, contre laquelle la social-démocratie doit mener et mènera toujours une guerre déterminée. »

Lénine, Pourquoi les sociaux-démocrates doivent déclarer une guerre déterminée et implacable contre les socialistes-révolutionnaires, Juin-Juillet 1902

En 1902, Lénine voyait déjà dans le parti-socialiste révolutionnaire un parti qui finirait par s’agenouiller devant la démocratie bourgeoise (voir précisément, à partir de février 1917). Et on peut dire la même chose du maoïsme dont la « démocratie nouvelle » est une nouvelle formule de la démocratie bourgeoise.

Il notait déjà une absence de principes et de véritable théorie, et le rejet plus ou moins assumé du marxisme (les SR prétendaient « l’améliorer », comme les maoïstes aujourd’hui, par amélioration il faut entendre, révision dans le sens de l’opportunisme petit bourgeois).

« La contradiction réside dans le fait qu’en réalité, le parti des «socialistes-révolutionnaires» n’adhère pas du tout au socialisme révolutionnaire scientifique (= marxisme) dans les questions relatives au mouvement international et russe de la classe ouvrière. En réalité, le trait caractéristique de ce «parti» est l’absence totale de principe dans toutes les questions fondamentales les plus importantes du socialisme moderne. »

Lénine, Les thèses de base contre les socialistes-révolutionnaires, Novembre-Décembre 1902

Enfin, à propos de la « démocratie nouvelle » des maoïstes, une note intéressante de Lénine montre que déjà les SR entretenaient la confusion entre démocratie bourgeoise et démocratie socialiste.

« Idéologie petit-bourgeoise : corrompt la conscience de classe du prolétariat, le rend inapte à une position indépendante vis-à-vis de la démocratie bourgeoise (parce que les socialistes-révolutionnaires s’efforcent de confondre la démocratie sociale et bourgeoise, tout en étant une branche de celle-ci). »

Lénine, Esquisse d’un article contre les socialistes-révolutionnaires, Juillet 1903

 

c- La nature de classe de la révolution chinoise

La révolution chinoise était d’après Mao lui-même une révolution démocratique bourgeoise et non une révolution prolétarienne.

« Dans sa première étape ou première phase, la révolution dans une colonie ou semi-colonie reste essentiellement, par son caractère social, une révolution démocratique bourgeoise, et ses revendications tendent objectivement à frayer la voie au développement du capitalisme ; néanmoins, elle n’est déjà plus une révolution de type ancien, dirigée par la bourgeoisie et se proposant d’établir une société capitaliste et un État de dictature bourgeoise, mais une révolution de type nouveau, dirigée par le prolétariat et se proposant d’établir, à cette première étape, une société de démocratie nouvelle et un État de dictature conjointe de toutes les classes révolutionnaires.

(…)

La première étape de la révolution chinoise (étape qui se subdivise elle-même en nombreux stades intermédiaires) est, par son caractère social, une révolution démocratique bourgeoise d’un type nouveau, elle n’est pas encore une révolution socialiste prolétarienne ; néanmoins, elle fait partie depuis longtemps de la révolution mondiale socialiste prolétarienne, elle en constitue même, maintenant, une part considérable et est pour elle une grande alliée. La première phase ou première étape de cette révolution n’est certainement pas et ne peut être l’édification d’une société capitaliste de dictature bourgeoise ; elle doit s’achever par l’édification d’une société de démocratie nouvelle placée sous la dictature conjointe de toutes les classes révolutionnaires chinoises, à la tête desquelles se trouve le prolétariat chinois ; puis on fera passer la révolution à la seconde étape, celle de l’édification de la société socialiste en Chine.

(…)

La révolution, dont la tâche principale, à l’étape actuelle, est de combattre l’impérialisme étranger et les forces intérieures féodales, est une révolution démocratique bourgeoise et non une révolution socialiste visant à renverser le capitalisme. »

Mao Zedong, La démocratie nouvelle, 1940

Mais tandis que Marx ne voyait dans la révolution bourgeoise qu’« un prélude immédiat à la révolution prolétarienne » (Karl Marx, Le manifeste du parti communiste, 1847), Mao lui considérait que la révolution bourgeoise en Chine devait être au milieu entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat. Plus exactement, la révolution bourgeoise en Chine devait aboutir à la « dictature conjointe de toutes les classes révolutionnaires », à savoir la bourgeoisie, la petite bourgeoisie, la classe ouvrière et la paysannerie.

L’un des plus grands mensonges du maoïsme est de confondre les révolutions nationales-démocratiques dirigées contre l’impérialisme et la révolution socialiste.

Mais dès 1920, Lénine mettait en garde contre ce qui sera plus tard le maoïsme.

« La nécessité de lutter résolument contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés ; l’Internationale communiste ne doit appuyer les mouvements nationaux démocratiques bourgeois des colonies et des pays arriérés qu’à la condition que les éléments des futurs partis prolétariens, communistes autrement que par le nom, soient dans tous les pays arriérés groupés et éduqués dans l’esprit de leurs tâches particulières, tâches de lutte contre les mouvements démocratiques bourgeois de leur propre nation ; l’Internationale communiste doit conclure une alliance temporaire avec les démocrates bourgeois des colonies et des pays arriérés, mais pas fusionner avec eux, et maintenir fermement l’indépendance du mouvement prolétarien, même sous sa forme la plus embryonnaire. »

Lénine, Projets de thèses sur Questions nationales et coloniales, Pour le deuxième congrès de l’Internationale communiste, 5 Juin 1920

On comprend en fait que Lénine prévoyait déjà une possible déviation du marxisme dans le mouvement communiste au sein des semi-colonies. Cette déviation contre laquelle Lénine préparait la lutte devint une réalité avec Mao.

« Si nous ne suivons pas la voie du capitalisme de dictature bourgeoise, alors, peut-être pouvons-nous suivre la voie du socialisme de dictature prolétarienne ? Non, c’est également impossible. »

Mao Zedong, La démocratie nouvelle, 1940

Mao semblait donc chercher la voie du milieu entre dictature de la bourgeoisie et dictature du prolétariat. D’après Lénine, il s’agit bien sur d’une vieille théorie opportuniste (et non d’une « amélioration » du marxisme). A vrai dire, notre état bourgeois aussi prétend être « au-dessus des classes », n’être ni la dictature de la bourgeoisie ni la dictature du prolétariat. La formule de Mao est donc, dans le fond comme dans la forme, une plateforme démocratique bourgeoise, de dictature de la bourgeoisie déguisée en pouvoir équitablement partagé.

« Le point le plus important, que ne comprennent pas les socialistes et qui constitue leur myopie théorique, leur emprisonnement dans les préjugés bourgeois et leur trahison politique envers le prolétariat, c’est que dans la société capitaliste, dès que s’aggrave la lutte des classes qui est à sa base, il n’y a pas de milieu entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat. Tous les rêves d’une solution intermédiaire ne sont que lamentations réactionnaires de petits bourgeois. »

Lénine, Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, 4 Mars 1919

En résumé, il n’est pas injuste de voir dans la révolution chinoise l’équivalent de la révolution française de 1789. Une révolution dans laquelle les « classes révolutionnaires » (c’est à dire le tiers-état) renversent l’aristocratie.

Front populaire, « démocratie » populaire, guerre populaire, république populaire, gouvernement populaire, les maoïstes cuisinent le mot « populaire » à toutes les sauces.

Il est vrai qu’il existait en Europe de l’est ce qu’on appelait les « démocraties populaires », pour insister sur le fait qu’il ne s’agissait pas de démocraties socialistes mais de systèmes où les partis bourgeois participaient encore. Il ne s’agissait pas d’un système définitif, mais d’une courte période de transition après la seconde guerre mondiale, le temps de former des partis communistes capables d’établir la dictature du prolétariat.

En dehors de ce contexte, parler de gouvernement populaire, c’est parler en opportuniste.

« L’ »Etat populaire libre » était une revendication inscrite au programme des social-démocrates allemands des années 70 et qui était devenue chez eux une formule courante. Ce mot d’ordre, dépourvu de tout contenu politique, ne renferme qu’une traduction petite-bourgeoise et emphatique du concept de démocratie. Dans la mesure où l’on y faisait légalement allusion à la république démocratique, Engels était disposé à « justifier », « pour un temps », ce mot d’ordre à des fins d’agitation. Mais c’était un mot d’ordre opportuniste, car il ne tendait pas seulement à farder la démocratie bourgeoise; il marquait encore l’incompréhension de la critique socialiste de tout Etat en général. Nous sommes pour la république démocratique en tant que meilleure forme d’Etat pour le prolétariat en régime capitaliste; mais nous n’avons pas le droit d’oublier que l’esclavage salarié est le lot du peuple, même dans la république bourgeoise la plus démocratique. Ensuite, tout Etat est un « pouvoir spécial de répression » dirigé contre la classe opprimée. Par conséquent, aucun Etat n’est ni libre, ni populaire. Cela, Marx et Engels l’ont maintes fois expliqué à leurs camarades de parti dans les années 70. »

Lénine, L’état et la révolution, 1917

La comparaison entre le parti socialiste-révolutionnaire russe et le maoïsme est valable. Dans ce cas, nous devons considérer que la Chine est devenue ce que la Russie serait devenue s’il n’y avait eu que la révolution bourgeoise de février 1917 et pas la révolution socialiste d’octobre. Après février 1917, les SR formaient avec les mencheviks et les cadets (la bourgeoisie libérale), un bloc qui gouvernait le pays. Ce gouvernement, comme celui de Mao en Chine plus tard, mentait en réalité sur sa propre nature. En effet, sans révolution socialiste, les mots de « gouvernement populaire » ne faisaient que masquer la démocratie bourgeoise, c’est à dire la dictature de la bourgeoisie.

« La question du pouvoir est certainement la question la plus importante de toute révolution. Quelle classe détient le pouvoir ? Tel est le fond du problème.

(…)

La question du pouvoir ne saurait être ni éludée, ni reléguée à l’arrière-plan, car c’est la question fondamentale, celle qui détermine tout le développement de la révolution, sa politique extérieure et intérieure.

(…)

Jusqu’à présent, le pouvoir d’Etat, en Russie, reste en réalité aux mains de la bourgeoisie, qui n’est tenue qu’à faire des concessions partielles (qu’elle commence à reprendre dès le lendemain), à distribuer des promesses (qu’elle n’a pas l’intention de tenir), à rechercher les moyens de masquer sa domination (pour berner le peuple par les apparences d’une «coalition loyale»), etc., etc. En paroles, nous avons un gouvernement populaire, démocratique, révolutionnaire ; en réalité, il s’agit d’un gouvernement antipopulaire, anti­démocratique, contre-révolutionnaire, bourgeois : telle est la contradiction fondamentale qui a duré jusqu’à présent et a été à l’origine de l’instabilité et des hésitations du pouvoir, de ce «chassé-croisé ministériel» auquel se sont livrés, avec un zèle si désastreux (pour le peuple), MM. les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks. »

Lénine, Une des questions fondamentales de la révolution, 14 Septembre 1917

De la même manière, comment peut-on affirmer que la classe ouvrière était au pouvoir en Chine après la révolution alors même qu’elle ne constituait que 2% de des membres P »C »C, le reste étant des bourgeois, petits bourgeois et paysans ?

La Chine de Mao ne pouvait être qu’une chose, une dictature de la bourgeoisie.

 

d- La lutte entre Staline et Mao

En 1950, dans Cinq conversations avec les économistes soviétiques, soit un an apès la révolution chinoise, Staline indiquait clairement que « la révolution chinoise nous rappelle un peu la révolution bourgeoise française de 1789 ». La révolution a été mené par le parti « communiste » chinois, d’où la confusion sur la nature du système politique et économique chinois. « La confusion sur cette question arrive parce que nos cadres n’ont pas une éducation économique profonde. », concluait Staline, pour qui la révolution chinoise n’en était qu’« à sa première étape de développement ».

Au même moment, en URSS, Staline était confronté à la lutte contre une bureaucratie échappant à tout contrôle depuis que la seconde guerre mondiale avait affaibli les rangs des communistes. Ces derniers entretenaient la confusion entre les mouvements communistes et les mouvements révolutionnaires bourgeois pseudo-communistes tels que celui de Tito en Yougoslavie, et du second Tito, surnom que Staline donnait en privé à Mao.

En public en effet, ni Staline, ni Mao ne pouvaient mettre en lumière les divergences idéologiques très importantes entre l’URSS et la Chine. La guerre de Corée nécessitait une alliance entre ces deux pays ce qui incitait les deux parties à garder leur critiques. En particulier la Chine pour qui le soutien de l’URSS et du mouvement communiste internetional imposait de masquer le contenu bourgeois de la révolution chinoise par une forme prolétarienne.

Mao notait l’attitude hostile de Staline après la victoire de la révolution chinoise.

« Staline a fait un certain nombre de mauvaises choses en rapport avec la Chine. (…) lorsque la guerre a éclaté, il se montra sceptique à notre endroit. Quand nous avons gagné la guerre, il soupçonna que c’était là une victoire du genre de celle de Tito et en 1949 et 1950, il exerça sur nous une très forte pression. »

Mao Zedong, Sur les dix réalisations majeures, 25 avril 1956

 

 

On sait que vers la fin de sa vie, Staline préparait de nombreux règlements de compte, probablement aussi avec la Chine, tout comme il avait déjà initié une lutte ouverte avec la ligne yougoslave.

Ecoutons donc la version de Mao.

« D’une manière générale, c’est nous les Chinois qui avons compris le monde objectif de la Chine, et non les camarades concernés par les questions chinoises de l’Internationale communiste. Ces camarades de l’Internationale communiste ne comprenaient tout simplement pas, ou on pouvait dire qu’ils ne comprenaient absolument pas la société chinoise, la nation chinoise ou la révolution chinoise.

Mao Zedong, Discours à une conférence de travail élargie convoquée par le Comité central du Parti communiste de Chine, 30 janvier 1962

 

« Ils [Staline et le Comintern] n’ont pas permis à la Chine de faire la révolution: c’était en 1945. Staline voulait empêcher la Chine de faire la révolution, disant que nous ne devrions pas avoir de guerre civile et coopérer avec Tchang Kaï-chek sinon la nation chinoise périrait. Mais nous n’avons pas fait ce qu’il a dit. La révolution était victorieuse. Après la victoire de la révolution, il soupçonna la Chine d’être une seconde Yougoslavie et moi d’être un second Tito. Plus tard, quand je suis allé à Moscou pour signer le Traité sino-soviétique d’alliance et d’assistance mutuelle, nous avons dû passer par une autre lutte. Il n’était pas disposé à signer un traité. Après deux mois de négociations il a enfin signé. Quand Staline a-t-il commencé à avoir confiance en nous ? C’était à l’époque de la campagne Resist America, Aid Corea, à partir de l’hiver 1950. Il en est alors venu à croire que nous n’étions pas Tito, pas la Yougoslavie. Mais maintenant nous sommes devenus des «aventuriers de gauche», des «nationalistes», des «dogmatiques», des «sectaires», tandis que les Yougoslaves sont devenus des «marxistes-léninistes». De nos jours, la Yougoslavie va bien, elle va bien. J’entends qu’elle est redevenue « socialiste ». Donc le camp socialiste est intérieurement très compliqué aussi. En fait, c’est aussi très simple. Un seul principe est impliqué: c’est le problème de la lutte des classes – le problème de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, le problème de la lutte entre le marxisme-léninisme et l’anti-marxisme-léninisme, le problème de la lutte Marxisme-léninisme et révisionnisme. »

Mao Zedong, Discours devant le dixième plénum du huitième comité central, 24 Septembre 1962

D’après Mao, Staline se serait donc trompé sur la révolution chinoise. Mais qu’en est-il des faits ? Staline considérait effectivement Mao comme un second Tito, c’est à dire un révolutionnaire démocratique bourgeois et non un socialiste. La prise du pouvoir par le P »C »C n’avait donc rien d’un changement politique, ni en fait d’une révolution. Le P »C »C et le Kuomintang n’étaient à partir des années 1930 que les deux ailes de la bourgeoisie (l’une, rurale, et l’autre urbaine).

En 1950, Staline décrivait simplement la réalité de la Chine. Il voyait déjà que la Chine n’était pas sur le chemin du socialisme.

« En Chine nous ne pouvons pas même parler de construction du socialisme dans les villes ou dans la campagne. Quelques entreprises ont été nationalisées mais c’est une goutte dans l’océan. »

Staline, Cinq conversations avec les économistes soviétiques, 1950

La mort de Staline en 1953 fit que les divergences sino-soviétiques n’ont jamais éclaté publiquement. Aujourd’hui encore, de nombreux communistes qui se réclament du marxisme-léninisme ou du maoïsme ignorent (délibérement ou non) ces divergences idéologiques. Ils affirment simplement que Staline a fait des erreurs et que Mao a corrigé ces erreurs (« 30% ») en conservant ce qu’il y avait de juste dans la politique de Staline (« 70% »). Le problème c’est que Mao parle à 100% de ses désaccords et à 0% de ce sur quoi il est d’accord. En réalité, il n’y avait aucun accord entre Staline et Mao sur aucune question politique sérieuse. [souligné par TML]

En se revendiquant de Marx et Lénine, Mao essayait de profiter du prestige et à la légitimité de Marx et Lénine. D’après Lénine pourtant, on ne peut pas juger un parti sur son étiquette.

« Là où le marxisme est populaire parmi les ouvriers, ce courant politique, ce « parti ouvrier bourgeois », invoquera avec véhémence le nom de Marx. On ne peut le leur interdire, comme on ne peut interdire à une firme commerciale de faire usage de n’importe quelle étiquette, de n’importe quelle enseigne ou publicité. On a toujours vu, au cours de l’histoire, qu’après la mort de chefs révolutionnaires populaires parmi les classes opprimées, les ennemis de ces chefs tentaient d’exploiter leur nom pour duper ces classes. »

Lénine, L’impérialisme et la scission du socialisme, 1916

 

e- Le « socialisme » chinois

Voici comment Mao décrivait l’économie chinoise en 1953, soit quatre années après la « révolution ».

« L’économie capitaliste telle qu’elle existe actuellement en Chine est, pour la plus grande partie, une économie capitaliste, placée sous le contrôle du gouvernement populaire, liée sous diverses formes avec l’économie socialiste que représente le secteur d’Etat et soumise à la surveillance des ouvriers. Ce n’est donc plus une économie capitaliste ordinaire, mais une économie capitaliste particulière, une économie capitaliste d ‘Etat d’un type nouveau. Si elle existe, c’est surtout pour satisfaire les besoins du peuple et de l’Etat, et non pas pour permettre aux capitalistes de réaliser des bénéfices. Certes, le travail des ouvriers procure encore une part de profit aux capitalistes, mais cette part est faible et ne représente qu’environ le quart du profit global ; les trois quarts restants sont destinés aux ouvriers (fonds de bien-être), à l’Etat (impôt sur le revenu) ainsi qu’à l’accroissement des équipements de production (une petite partie du profit qu’ils rapportent revient aux capitalistes). Ainsi, cette économie capitaliste d’ Etat d’un type nouveau revêt, dans une très grande mesure, un caractère socialiste et offre des avantages aux ouvriers et à l’Etat. »

Mao Zedong, SUR LE CAPITALISME D’ÉTAT, 9 juillet 1953, Commentaire écrit sur un document de la Conférence nationale sur le travail économique et financier tenue à l’été 1953

Le principal mensonge dans le « socialisme » chinois est de prétendre qu’il s’agirait d’un capitalisme d’état différent de ce qu’on trouve dans n’importe quel pays capitaliste. Le « gouvernement populaire » étant la dictature de la bourgeoisie chinoise, on ne saurait parler de socialisme. Quant aux aides sociales pour les travailleurs, il ne s’agit pas non plus d’un critère pour qualifier un pays de socialiste (sinon la France serait un pays socialiste).

Pour qu’on puisse parler de socialisme, il faut que la plus grande partie de l’économie soit nationalisée et que le prolétariat se trouve à la tête de l’état, ce qui comme nous l’avons vu (et comme nous allons encore en avoir des preuves), n’était pas le cas. Aucun de ces deux critères n’était réuni.

Le système économique chinois était un mix public-privé, pour être plus exact, une participation des capitalistes privés au secteur public. Autrement dit un secteur public de façade qui permettait aux capitalistes privés d’obtenir des profits.

« 5. Gestion mixte État-privé les commandes passées par l’Etat à des entreprises privées pour traiter des matériaux ou fabriquer des marchandises, l’Etat fournissant toutes les matières premières et prenant tous les produits finis; et les ordres placés de même, avec l’état prenant pas tout mais la plupart des produits finis – ce sont les trois formes de capitalisme d’Etat à adopter dans le cas de l’industrie privée.

(…)

7. Avec environ 3 800 000 travailleurs et vendeurs, l’industrie privée et le commerce constituent un atout important pour l’État et jouent un rôle important dans l’économie nationale et les moyens de subsistance de la population. Non seulement ils fournissent des biens à l’État, mais ils peuvent aussi accumuler des capitaux et former des cadres pour l’État.

8. Certains capitalistes se tiennent à distance de l’État et n’ont pas changé leur mentalité de profits avant tout. Certains travailleurs avancent trop vite et ne veulent pas permettre pas aux capitalistes de réaliser des profits. Nous devrions essayer d’éduquer ces travailleurs et ces capitalistes et les aider graduellement (mais le plus tôt possible) à s’adapter à notre politique d’État, à savoir faire en sorte que l’industrie et le commerce chinois servent principalement l’économie et les moyens de subsistance du peuple et les capitalistes et ainsi s’engager sur la voie du capitalisme d’Etat.

Le tableau suivant montre la répartition des bénéfices dans les entreprises d’État capitalistes:

Impôt sur le revenu 34,5%
Fonds de bien-être social 15,0%
Fonds de capitalisation 30,0%
Dividendes aux capitalistes 20,5%
__________________________________________________

Total 100,0%

9. Il est nécessaire de continuer à éduquer les capitalistes dans le patriotisme, et à cette fin nous devrions systématiquement cultiver un certain nombre d’entre eux qui ont une vision plus large et sont prêts à pencher vers le Parti communiste et le gouvernement populaire, de sorte que la plupart des d’autres capitalistes peuvent être convaincus à travers eux.

10. La mise en œuvre du capitalisme d’État doit non seulement reposer sur ce qui est nécessaire et réalisable (voir le programme commun), mais elle doit aussi être volontaire de la part des capitalistes, car c’est une entreprise coopérative et une coopération, elle n’admet aucune coercition. C’est différent de la façon dont nous avons traité avec les propriétaires [terriens].

(…)

13. L’un est le chef tandis que l’autre est le conduit; l’un ne cherche aucun profit privé tandis que l’autre cherche encore un certain profit privé, et ainsi de suite; c’est là que résident les différences. Mais dans l’état actuel des choses, l’industrie privée et le commerce servent principalement l’économie nationale et les moyens de subsistance du peuple (qui, en ce qui concerne la distribution des bénéfices, absorbent environ les trois quarts du total). Par conséquent, nous pouvons et devons persuader les travailleurs dans les entreprises privées d’agir de la même manière que dans les entreprises d’État, à savoir augmenter la production et pratiquer l’économie, augmenter la productivité du travail, réduire les coûts de production et augmenter la quantité et la qualité, servant ainsi l’intérêt à la fois du secteur public et du secteur privé et de celui du travail et du capital. »

Mao Zedong, LA SEULE ROUTE POUR LA TRANSFORMATION DE L’INDUSTRIE CAPITALISTE ET DU COMMERCE, 7 septembre 1953, Esquisse d’une conversation avec des représentants des partis démocratiques et des milieux industriels et commerciaux le 7 septembre 1953

Ces citations accablantes de Mao révèlent quoi qu’on en dise la véritable nature du « socialisme » chinois.

Le point 7 révèle que Mao considèrait que le capitalisme privé sert l’intérêt général (coucou la main invisible). Il approuvait également la participation des capitalistes à la gestion de l’état (« populaire »).

Le point 8 condamne les travailleurs qui « veulent aller trop vite » et qui refusaient que les capitalistes fassent des profits en les exploitant. Il existait donc bien une classe exploiteuse en Chine, et d’après le point précédent, elle possédait également les commandes de l’état (quelle différence avec les autres pays capitalistes ?).

Le point 9 invite les capitalistes à être de bons patriotes et à intégrer le parti communiste. Autrement dit Mao nous révèle qu’en plus d’approuver la présence des capitalistes à la direction de l’état, il recommandait leur présence au sein du parti « communiste ».

Le point 10 rejette toute action violente contre les capitalistes. N’est-ce pas suffisament clair ?

 

f- La base de l’opposition à Khrouchtchev

Après la mort de Staline, Khrouchtchev mena le camp révisionniste au pouvoir en URSS, qui cessa de fait d’être un pays socialiste.

Dans un premier temps, Mao voyait d’un mauvais oeil Khrouchtchev, le considérant comme un nouveau Staline. Mais il se ravisa bien vite en voyait la politique menée par celui-ci, notamment la réforme de 1957 qui démontrait clairement que l’URSS était devenu un pays capitaliste (fin de la planification centralisée, destruction du système des machines et tracteurs qui louaient gratuitement des moyens de production aux kholkozes, etc.).

Sur la question agricole précisément, il faut savoir qu’en URSS, une partie de la production était assurée par des fermes d’état (sovkozes) et une autre partie par des coopératives paysannes (kholkozes), qui ne possédaient pas la terre ni les moyens de production mais seulement le produit de leur travail qu’ils échangeaient avec l’état à prix fixé.

Ce système permettait d’effectuer une transition vers la nationalisation complète de l’agriculture, en offrant gratuitement à tous les kholkozes des machines, des tracteurs et l’aide de scientifiques. Il existait donc en URSS deux types de propriétés socialistes (d’état, et les coopératives paysannes), la seconde étant héritée de la vielle propriété communale qui avait subsisté en Russie.

En Chine, la politique menée par Mao lors du grand bon en avant consistait au contraire à accorder aux paysans la propriété de la terre et de leurs moyens de production, en faisant des petits producteurs privés, développant de fait la production marchande dans lesquelles les lois du capitalisme ne pouvaient manquer de s’appliquer. La catastrophe agricole des « communes populaires » chinoise s’explique par le développement inégal du capitalisme, à la concurrence qui fait que quelques paysans deviennent de riches exploitants tandis que la majorité des paysans finit ruinée et doit partir en ville pour survivre. L’absence de planification réelle empêchait la Chine de faire correctement le passage d’une économie paysanne à celle d’une économie industrielle.

La politique de Khrouchtchev de privatiser l’agriculture soviétique constitue une régression vers une économie plus primitive, et au fond plus proche de ce qui existait en Chine et que proposait Mao. On comprend donc que Mao désapprouvait la politique de Staline et approuvait celle de Khrouchtchev.

« En Chine, dans le secteur de l’agriculture, bon nombre de moyens de productions doivent encore être considérés comme des marchandises. A mon avis, la dernière des trois lettres de Staline, placées en annexes de son livre exprime un point de vue presque totalement erroné. On y distingue une grande méfiance à l’égard des paysans, ainsi que la volonté de ne pas relâcher le contrôle sur les machines agricoles. D’un côté, Staline dit que les moyens de production appartiennent à l’Etat, tandis que de l’autre, il affirme que ceux-ci sont trop chers pour les paysans. En réalité, il se trompe lui-même. L’Etat exerce un contrôle asphyxiant sur les paysans et Staline n’a pas trouvé la bonne méthode et la bonne voie qui mène du capitalisme au socialisme et du socialisme au communisme. Pour lui, c’est une chose très embarassante.

(…)

La sphère d’action de la production marchande n’est pas limitée aux articles de connsommation personnelle. Certains moyens de production appartiennent aussi à la catégorie des marchandises. Si l’on considère les produits agricoles comme des marchandises. (…)

En Chine nous devons nous seulement fournir des produits de consommation, mais aussi les moyens de production destinés à l’agriculture. Staline, lui, ne voulait pas vendre les moyens de production aux paysans. C’est Khrouchtchev qui a modifié cette politique. »

Mao Zedong, Critique de « Les problèmes économiques du socialisme en URSS » de Staline

[ Note de TML :

l’ensemble de ce passage, comparant les systèmes d’échanges agricoles en URSS et en Chine, comprend un certain nombre d’erreurs et d’approximations historiques qui peuvent prêter à confusion et doivent donc être corrigées et précisées.

Les kolkhozes pouvaient échanger avec les SMT (Stations Machines et Tracteurs) de différentes manières.

L’une d’elle consistait à un échange en nature entre les services des SMT et une partie de la récolte des kolkhozes, qui allait donc approvisionner directement le secteur industriel, sans échange monétaire.

Un type d’échange proto-communiste et défendu comme tel par Staline lors du 19ème et dernier congrès du Parti Bolchevique.

Pour le reste, la récolte des Kolkhozes non consommée sur place était effectivement échangée à des tarifs convenus entre l’État et les Kolkhozes, et par l’État seul, si nécessaire.

En Chine, si les terres sont effectivement restées la propriété privée des paysans, au sens où elle leurs avaient été allouées en usufruit, à titre personnel, à partir de 1949, elles étaient néanmoins cultivées en commun, sur une base communale et coopérative, effectivement propriétaire des machines agricoles.

L’échec rapide et violent du « grand bond en avant » vient précisément de l’échelle communale à laquelle se déroulaient la gestion et l’autonomie économique, qui devait être quasiment autarcique, créant ainsi de grandes inégalités, liées à l’inégalité des ressources, et donc des échanges qui en découlaient, recréant inévitablement des rapports de type capitalistes.

Ce type de « socialisme » utopique rural et communaliste avait pourtant déjà été critiqué pour cette raison, par Engels, comme menant inévitablement à la restauration du capitalisme le plus classique, avec lequel il ne rompt pas véritablement, malgré les apparences.

Sur ces questions, voir :

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2016/11/02/maoisme-etou-marxisme-leninisme/

https://tribunemlreypa.files.wordpress.com/2017/11/les-problemes-economiques-du-socialisme-en-urss.pdf   ]

**************

 

 

D’un point de vue personnel, Mao reconnaissait préférer Khrouchtchev à Staline.

« Quand je suis venu chez Staline, je me suis senti comme un élève devant son maître, alors que maintenant avec Khrouchtchev, nous nous sentons entre camarades, nous sommes à l’aise. »

Mao Zedong, Déclaration à la Conférence des partis communistes et ouvriers à Moscou en 1957

Dans une deuxième période, la Chine de Mao et l’URSS de Khrouchtchev sont devenus des adversaires. Il est ici inutile de citer Mao, c’est un fait bien connu. Si connu que le maoïsme est précisément connu pour son opposition à l’URSS de Khrouchtchev.

Mais sur quelle base cette opposition était menée, c’est ce sur quoi les maoïstes mentent une fois de plus.

Tandis qu’ils prétendent que cette opposition se faisait sur la base de la lutte contre le révisionnisme, les citations précédentes attestent qu’il n’en est rien, que Mao s’entendait très bien avec Khrouchtchev au moment où celui appliquait précisément les réformes les plus anti-communistes qui soient.

La réalité c’est que l’URSS de Khrouchtchev et la Chine de Mao étaient deux pays capitalistes (dans le fond), « socialistes » (dans la forme) et qui se disputaient en tant que deux nations rivales sur le plan international, en terme de territoires et d’influence idéologique sur le mouvement « communiste » international.

C’est ce que prouve le fait que Mao n’a pas considéré immédiatement Khrouchtchev comme un révisionniste mais l’a combattu dès que les intérêts de l’URSS et de la Chine sont entrés en conflits (notamment dans les années 1960).

Mao a profité du fait que son opposition à Staline était restée secrète pour jouer la carte de l’anti-révisionnisme, pour prétendre que son opposition à Khrouchtchev se faisait sur une base idéologique marxiste-léniniste. La réalité est que Mao et Khrouchtchev étaient deux révisionnistes à l’idéologie à peu près similaire et que chacun combattait l’autre au nom du marxisme-léninisme, bien que dans les faits, ni l’un ni l’autre n’était marxiste-léniniste.

Mao inventa la théorie des trois mondes pour former autour de la Chine un front d’alliance contre son ennemi principal (d’abord les Etats-Unis, puis l’URSS).

Mao utilisa à nouveau le thème de l’opposition au révisionnisme pour se maintenir au pouvoir dans le vaste jeu de dupes de la « révolution culturelle ».

 

g- La soumission de la Chine à l’impérialisme américain

La Chine de Mao a tenté avec le grand bond en avant de construire son économie de façon indépendante. Mais cela n’était possible que tant que l’URSS offrait un soutien gratuit (ce fut le cas durant la période de Staline). L’industrie lourde chinoise a pu se développer en partie grâce à l’aide soviétique.

En effet le système économique chinois restait le capitalisme. Un pays socialiste comme l’URSS pouvait développer de façon indépendante son économie grâce à la planification, qui permettait de produire en priorité les moyens de productions (l’industrie lourde), puis de développer l’industrie légère. Mais la Chine n’était pas un pays socialiste, c’était un pays capitaliste. Or le capitalisme tend à favoriser les secteurs les plus rentables. Il ne prend pas en compte les besoins de la population, mais uniquement la demande solvable à court terme, c’est à dire la demande immédiate, ce qui pousse à développer l’industrie légère. Mais comment développer l’industrie légère sans industrie lourde pour produire les moyens de productions ? Sans le soutien soviétique, la Chine ne pouvait plus développer son industrie lourde à moins de passer par une longue phase de développement du capitalisme, ce qui signifiait entrer dans la division internationale du travail et faire de la Chine une semi-colonie des pays impérialistes occidentaux.

En 1968, la bourse de Hong Kong permit aux entreprises d’état chinoises d’ouvrir leur capital aux investisseurs étranger.

Dès 1972, les accords entre Mao et Richard Nixon, ainsi que la visite de Kissinger ont incité les investisseurs américains à investir en Chine. Mao utilisa les anciennes colonies anglaises comme Hong Kong pour établir de nouvelles relations avec les capitalistes occidentaux et le commerce mondial. La bourse de Hong Kong servit de base à l’ouverture de la Chine au marché mondial. Les « Red Chip » (voir les entreprises entrées en bourse en 1972, donc de l’ère de Mao), ces entreprises d’état chinoises, furent donc vendues aux investisseurs américains, faisant de la bourgeoisie chinoise une bourgeoisie comprador. Les investissements étrangers furent ouverts, ce qui fit de la Chine l’atelier du monde, important des capitaux et exportant des marchandises. Aujourd’hui encore, plusieurs grandes sociétés d’état en Chine sont ces sociétés de l’ère maoïste.

Après la mort de Mao, Deng Xiaoping continua la politique initiée par Mao. Le monde actuel est en grande partie le résultat de cette politique qui a fait de la Chine un pays atelier pendant des décennies, avant de devenir seulement dans la dernière décennie un pays impérialiste capable de concurrencer l’impérialisme américain.

 

h- La lutte contre le prétendu « hoxhaïsme » masque une véritable lutte contre le marxisme

Enver Hoxha (se prononce « hodja ») était le dirigeant de l’Albanie socialiste. Il est connu pour avoir été très critique envers le maoïsme et la politique menée par Mao.

L’apport de de Hoxha n’est pas tant sur la réussite du socialisme en Albanie (qui s’effondra peu après l’effondrement de l’URSS, car trop petit et trop isolé à cause de la victoire du révisionnisme en URSS). Son véritable apport est d’avoir découvert et critiqué la véritable nature du maoïsme. Son véritable apport est d’avoir mené une critique du maoïsme, du point de vue du marxisme-léninisme, et non d’une nouvelle idéologie qu’il aurait inventé.

Toutefois, le maoïsme a besoin du « hoxhaïsme ». Dans la stratégie des maoïstes pour combattre le marxisme, Hoxha est ce qu’on appelle un « homme de paille ». C’est cette diversion qui permet aux maoïstes de lutter subrepticement contre les principes fondamentaux du marxisme. Au lieu d’attaquer directement et ouvertement le marxisme-léninisme, ils s’en prennent à Hoxha, critiquent son action politique. Au lieu de répondre à son analyse de la Chine, ils l’ignorent, et se contentent de prononcer des slogans comme à leur habitude.

Si toutefois on veut parler de l’Albanie et de son dirigeant Hoxha, celui-ci a tendu la main à de nombreuses reprises à la Chine maoïste, avant de découvrir petit à petit quel genre de « pays socialiste » était la Chine et quel grand « marxiste-lénininste » était Mao. Comme le reste du monde, les albanais ont cru un temps à la propagande selon laquelle la Chine était un « grand pays socialiste ». Les albanais n’ont pas attendu la mort de Mao pour critiquer le maoïsme. Il aura fallu quelques années pour que la politique girouette de Mao éveille les soupçons du PTA (Parti du Travail d’Albanie) et conduise Enver Hoxha à dissiper le brouillard entretenu par les maoïstes sur la réalité chinoise. Dès le milieu des années 1960, Hoxha avait parfaitement caractérisé l’essence du maoïsme, à savoir une idéologie de révolution bourgeoise d’émancipation nationale mais non de révolution socialiste.

Enver Hoxha résumait son point de vue sur le maoïsme de façon on ne peut plus claire.

« J’ai indiqué dans un des mes écrits qu’il fallait abattre les mythes, et je pensais précisément au mythe de Mao Tsétoung, ce mythe qui le présentait comme un ‘grand’ marxiste-léniniste. Mao Tsétoung n’est pas un marxiste-léniniste, mais un démocrate révolutionnaire progressiste et c’est à travers ce prisme qu’il faut, à mon sens, étudier son oeuvre. »

Enver Hoxha, La révolution chinoise peut-elle être qualifiée de prolétarienne ?, Réflexions sur la Chine, Tome II

Ce qui différencie les « hoxhaïstes » (ou du moins certains d’entre eux) des maoïstes, ce n’est pas que les uns premiers seraient restés bloqués à une version trop ancienne du marxisme, comme aiment à le faire croire les maoïstes. Non, c’est que les premiers sont des vrais marxistes, et que les seconds ne sont pas des marxistes du tout. Voilà la différence entre les « hoxhaïstes » et les maoïstes.

« Le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n’y a pas de milieu (car l’humanité n a pas élaboré une « troisième » idéologie; et puis d’ailleurs, dans une société déchirée par les antagonismes de classes, il ne saurait jamais exister d’idéologie en dehors ou au dessus des classes). C’est pourquoi tout rapetissement de l’idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l’idéologie bourgeoise. »

Lénine, Que faire ?, 1902

C’est pourquoi le maoïsme doit être combattu implacablement.

 

 

i- Autres textes

En complément de ce dossier, il existe un grand nombre de documents de critique marxiste du maoïsme :

Polémique sino-albanaise : PCC et PTA

La démystification de la révolution chinoise (page 90) :

Impérialisme et anti-impérialisme

Quelques articles du journal l’émancipation sur le maoïsme (1979-1982) : L’Emancipation, numeros 1 à 8, 1979-1983

(n°1 en entier : pages 2 à 26 – n°2, deuxième article : page 40 – n°3, troisième article page 74 – n°7, troisième article page 184)

Une comparaison entre les thèses opportunistes du P »C »F de Thorez et celles de Mao : Du parti de Thorez à la pensée Mao

Bien que l’usage du terme « stalinisme » et « hoxhaïsme » me semble innaproprié, ce site publie un grand nombre de documents importants sur la critique du maoïsme :

http://ciml.250x.com/archive/maoism.html traduit en français avec google traduction : ici en français

Quelques articles du camarade Luniterre : Mao déclassifié, partie 1, partie 2, partie 3 (sur les ravages du maoïsme en France dès les années 1950), partie 4.

Sur la continuité de la Chine de Mao avec la Chine contemporaine et la crise actuelle du système impérialiste mondial :

Chine : capitalisme ou socialisme ? Aux racines du maoïsme

De la structuration maoïste de la bulle chinoise

A voir également, à titre de complément, les liens entre Mao et l’oligarchie anglo-saxonne (Yale association) et les liens entre la Chine de Mao et la fondation Rockefeller.

 

****************************

 

Source:

http://www.proletaire.altervista.org/marxisme/textes/le-mensonge-du-maoisme.php